Le fractionnement des isotopes et les variations climatiques

Deux atomes d’un même élément sont des isotopes s’ils ont le même nombre de protons et d’électrons mais une masse atomique différente, c’est-à-dire un nombre de neutrons différents (Allègre, 2005Allègre C., 2005 : Géologie isotopique, Belin, 492 p.). Les isotopes qui ne sont pas radioactifs et ne disparaissent pas au cours du temps sont dits stables. Ainsi, l’élément oxygène possède trois isotopes stables : 16O (majoritaire), 17O et 18O. Les isotopes stables d’un élément se comportent différemment lors d’un processus physique (comme l’évaporation) ou chimique (précipitation) : c’est le « fractionnement isotopique ». Un fractionnement isotopique de l’oxygène se produit ainsi lors de l’évaporation de l’eau : l’eau à 16O, H216O, s’évapore plus facilement que H218.

Le rapport 18O/16O entre l’isotope « lourd » 18O et l’isotope « léger » 16O d’un échantillon (ech) est donné en fonction d’un standard (std) par le δ18O :

Le standard (std) dépend du type d’objet à étudier :

  • pour l’eau : Standard Mean Ocean Water (SMOW) ;
  • pour la calcite : Pee Dee Belemnite (PDB).

Concrètement, les rapports isotopiques des échantillons sont mesurés par spectrométrie de masse.

Les mesures isotopiques dans les sédiments

Par convention, l’eau de l’océan global possède un δ18O égal à zéro. Lorsqu’un carbonate inorganique ou organique précipite, un fractionnement isotopique se produit, dépendant de la température :

Pour la calcite inorganique, la température est déterminée par :

T°C = 16,0 – 4,14( δ18Ocalcite – δ18Oeau) + 0,13(δ18Ocalcite – δ18Oeau)2.

Sous certaines conditions, il est possible de déterminer des températures à partir du δ18O de la calcite organique (tests carbonatés de Foraminifères, dents de poissons…), en utilisant d’autres équations.
Cependant, les carbonates qui précipitent sont en équilibre isotopique avec l’eau de mer. La température est fonction du δ18O de l’eau de mer, qui varie principalement à cause de l’effet glaciaire (Encadré 2.3). D’autres paléothermomètres (alcénones) existent, dépendant uniquement de la température de surface de la mer (Sachs et al, 2000Sachs J.P., Schneider R.R., Eglinton T.I., et al, 2000. Alkenones as paleoceanographic proxies. Geochem. Geophys. Geosyst, 1(11), 2000GC000059). La courbe SPECMAP synthétise les fluctuations du δ18O des derniers millions d’années (ngdc.noaa.gov).

La corrélation des forages sédimentaires

Les forages sédimentaires peuvent être corrélés entre eux en comparant les variations d’intensité du champ paléomagnétique terrestre (Jouzel, 2003Jouzel J., 2003 : Climat du passé (400 000 ans) : des temps géologiques à la dérive actuelle. C. R. Geoscience, 335(6-7), 509-524.). La courbe composite NAPIS-75 (North Atlantic Paleomagnetic Intensity Stack) est une courbe de référence pour la corrélation des données sédimentaires (Laj et al, 2000Laj C., Kissel C., Mazaud A., et al, 2000 : North Atlantic paleointensity stack since 75 ka (NAPIS-75) and the duration of the Laschamp event, Phil. Trans. R. Soc. Lond. Ser. A 358 1009–1025.).
La production du chlore 36 (36Cl) et du béryllium 10 (10Be) est également modulée par le champ géomagnétique. Les variations de ces isotopes dans les forages glaciaires sont similaires à celles de l’intensité paléomagnétique des sédiments ; les sédiments marins et les glaces du Groenland peuvent ainsi être placés sur une échelle de temps commune (Parrenin et al, 2007Parrenin F., Barnola J.-M., Beer J., et al, 2007 : The EDC3 chronology for the EPICA Dome C ice core, Clim. Past, 3, 485–497.).

Les Foraminifères, des paléothermomètres fidèles

Les Foraminifères sont des organismes marins unicellulaires possédant un test carbonaté. Certaines espèces sont benthiques et les autres planctoniques ; l’analyse isotopique de leurs tests donne des indications sur la température de la mer respectivement en profondeur et en surface. Dans les Foraminifères, une augmentation de δ18O de 1‰ indique une diminution de température de 4°C environ (Pomerol et al, 2005Pomerol C., Renard M., & Lagabrielle Y., 2005 : Éléments de géologie, Dunod, 784 p., 13ème édition.).

  • Les Foraminifères benthiques vivent sur le fond, où la température est peu variable. Leur δ18O est contrôlé par le volume des calottes glaciaires (EnSavoirPlus 2.3) et n’est corrélé qu’à la température globale.
  • Les Foraminifères planctoniques vivent près de la surface. Leur δ18O est conditionné par la température de l’océan de surface et par le volume des calottes. Les variations produites par l’effet glaciaire se déduisent de l’analyse des Foraminifères benthiques. Les fluctuations locales de la température de surface de la mer peuvent ensuite être déduites.

Les δ18O des Foraminifères planctoniques mettent en évidence de nombreuses variations. Les minima et les maxima sont numérotés et nommés « stades isotopiques marins » (Figure 2.4).