Le climat de la dernière période glaciaire suit une cyclicité de 1 500 ans environ, attribuée à l’apparition rythmique des Dansgaard/Oeschger (D/O) (Figure 3.1). Une cyclicité de 1470 ans a ainsi été remarquée dans les variations du δ18O de l’oxygène de la carotte Greenland Ice Sheet Project 2 (GISP2) (liste des études : Rahmstorf, 2003Rahmstorf S., 2003 : Timing of abrupt climate change: A precise clock. Geophys. Res. Lett., 30(10), 1510.). Schulz (2002)Schulz M., 2002 : On the 1470-year pacing of Dansgaard–Oeschger warm events. Paleoceanography 17(2), 1–9. a cependant contesté l’existence de cette cyclicité, qui résulterait uniquement de la présence des D/O 5, 6 et 7. Cette cyclicité de 1500 ans, accompagné de cycles de 2000 et 2800 ans, se retrouve également dans les changements climatiques rapides de l’Holocène (références : Mayewski et al, 2004Mayewski, P.A., Rohling E.E., Stager J.C., et al, 2004 : Holocene climate variability. Quat. Res., 62(3), 243–255.).
Le cycle de Bond
Les changements abrupts du climat de la dernière période glaciaire se produisent selon un cycle appelé « cycle de Bond » (Figures 3.1 et 3.6) (Rahmstorf, 2003Rahmstorf S., 2003 : Timing of abrupt climate change: A precise clock. Geophys. Res. Lett., 30(10), 1510. , et Queisser, 2005Queisser M., 2005 : Quaternary Climate and Ocean: Evidence for and Effects of, Heinrich Events, Bond Cycles and Dansgaard-Oeschger Oscillations. Term Paper EOS 460.). Il consiste en une alternance de modes stadiaires froids et interstadiaires chauds. Les interstadiaires correspondent aux D/O et aux « plateaux » du cycle de Bond. Les D/O successifs sont de plus en plus froids. Le cycle de Bond se termine par un événement de Heinrich. Chaque cycle pourrait correspondre à une croissance graduelle de la calotte Laurentides. Il se terminerait par une décharge massive d’icebergs dans l’Atlantique Nord qui provoquerait l’événement de Heinrich terminal. Durant la dernière période glaciaire, il existe trois états de conditions climatiques caractéristiques (stadiaires, interstadiaires et Heinrich) correspondant à trois modes distincts de circulation océanique (Figure 3.7).
La bascule climatique entre les deux hémisphères
Durant l’ensemble de la dernière période glaciaire, un phénomène de bascule climatique (« see-saw effect ») entre les hémisphères se produit : l’Antarctique connaît un réchauffement pendant que le Groenland subit des conditions froides (Rahmstorf, 2003Rahmstorf S., 2003 : Timing of abrupt climate change: A precise clock. Geophys. Res. Lett., 30(10), 1510.). La simulation de Knutti et al (2004)Knutti R., Flückiger J., Stocker T.F., & Timmermann A., 2004: Strong hemispheric coupling of glacial climate through freshwater discharge and ocean circulation. Nature, 430, 851-856. explique cette relation en phase : des bouleversements dans la circulation océanique réduisent l’export d’eau depuis l’océan circum-Antarctique vers l’Atlantique Nord. Le transfert de chaleur de l’Antarctique vers l’Atlantique Nord est supprimé.
La circulation thermohaline
La circulation atmosphérique entraîne les eaux de surface (jusqu’à quelques centaines de mètres) des basses latitudes vers les hautes latitudes (Deconinck, 2006Deconinck J.-F., 2006 : Paléoclimats, l’enregistrement des variations climatiques. Vuibert, 198 p.). Les eaux, relativement chaudes aux basses latitudes, refroidissent progressivement. L’augmentation de densité induite est accentuée par la formation de glace de mer (dépourvue de sel) aux hautes latitudes, qui augmente la salinité de l’eau. Les eaux denses plongent aux hautes latitudes et forment la circulation océanique profonde. Dans l’Atlantique, ce sont 15 ± 2.106 m3.s-1 d’eaux qui plongent au niveau de la mer du Labrador et de la mer de Norvège (Rahmstorf, 2003Rahmstorf S., 2003 : Timing of abrupt climate change: A precise clock. Geophys. Res. Lett., 30(10), 1510.). Elles sont à l’origine de la masse d’eau profonde nord-atlantique (« North Atlantic Deep Water », NADW) (Figure 3.8).
Cette circulation océanique dictée par la température et la salinité de l’eau est appelée « circulation thermohaline ». Elle permet le brassage des océans et le transport de chaleur de l’équateur aux pôles.
Les causes de l’alternance stadiaire-interstadiaire
Selon certains auteurs, les alternances stadiaires-interstadiaires sont attribuées à des démarrages de la circulation thermohaline (Broecker, 1991Broecker W.S., 1991 : The great ocean conveyor. Oceanography 4(2) 79-89., et Rahmstorf, 2003Rahmstorf S., 2003 : Timing of abrupt climate change: A precise clock. Geophys. Res. Lett., 30(10), 1510.). Les périodes chaudes des D/O (mode interstadiaire) sont attribuées à une circulation thermohaline intense : les eaux de l’Atlantique Nord provenant des basses latitudes sont plus chaudes et la libération de chaleur dans l’atmosphère est élevée. Ce réchauffement affaiblit en retour la circulation thermohaline. Il provoque la fonte de glace arctique, ce qui apporte de l’eau douce dans l’Atlantique. De plus, l’excès de sel en provenance des basses latitudes est exporté par la NADW. L’apport d’eau douce et l’export de sel diminuent la densité de l’eau de l’Atlantique Nord jusqu’à ce que le plongement de l’eau à l’origine de la NADW devienne impossible. Avec une circulation thermohaline inexistante, l’apport de chaleur des basses aux hautes latitudes s’atténue et un refroidissement se produit (mode stadiaire). L’eau s’enrichit de nouveau en sel et la circulation thermohaline reprend. Suivant une autre théorie, les alternances stadiaires-interstadiaires sont dues à un déplacement latitudinal de la convection de l’Atlantique Nord (Rahmstorf, 2003Rahmstorf S., 2003 : Timing of abrupt climate change: A precise clock. Geophys. Res. Lett., 30(10), 1510.). En période froide précédant le D/O (mode stadiaire), la NADW se forme en région subpolaire (sud de l’Islande) (Figure 3.7 B). Le réchauffement rapide du D/O (mode interstadiaire) est causé par une intrusion plus au nord des eaux chaudes moins denses, dans la mer de Norvège et la mer du Groenland (Figure 3.7 A). La circulation s’affaiblit ensuite progressivement, en quelques siècles. La phase froide finale marque la fin de la formation de la NADW. Les éléments déclencheurs envisagés actuellement pour démarrer le cycle stadiaire-interstadiaire pourraient être des variations de l’activité solaire ou du niveau de la mer.
Les variations d’activité solaire comme causes de la cyclicité du climat ?
Bond et al. (1997)Bond G., Showers W., Cheseby M., et al, 1997 : A pervasive millennial-scale cycle in North Atlantic Holocene and glacial climates. Science, 278, 1257–1266. et 2001Bond G., Kromer B., Beer J., et al, 2001 : Persistent solar influence on north Atlantic climate during the Holocene. Science, 294, 2130–2136.) ainsi que Hu et al. (2003)Hu F.S., Kaufman D., Yoneji S., et al, 2003 : Cyclic variation and solar forcing of Holocene climate in the Alaskan subarctic. Science, 301, 1890–1893. suggèrent que les variations de l’activité solaire sont responsables des fluctuations climatiques, selon des cycles de un à deux millénaires. Cependant ces hypothèses ne sont basées que sur des corrélations apparentes entre les données climatiques et les variations de l’activité solaire (Bard & Frank, 2006Bard E., & Frank M., 2006 : Climate change and solar variability: What’s new under the sun? Earth. Planet. Sci. Lett., 248, 1–14.). De plus, si l’activité solaire influence le climat de manière cyclique, les variations climatiques résultantes doivent être également cycliques. Or, une fluctuation périodique n’est pas toujours retrouvée dans les données empiriques.
Haut : mode interstadiaire chaud (D/O) ; Centre : mode stadiaire froid ; Bas : mode « Heinrich », sans NADW. L’élévation représente le « haut-fond » entre le Groenland et l’Écosse. Ligne rouge : NADW ; ligne bleue : courant de fond antarctique.
En rouge : courants de surface chauds ; en bleu : courants profonds froids et denses (NADW).